Une vie dédiée à la botanique, de l’humble chaumière aux jardins royaux
Naissance et enfance : Pierre-Antoine Poiteau est né le 23 mars 1766 à Ambleny, près de Soissons. Issu d’un milieu modeste, ses parents, Antoine et Marie-Jeanne Blanchard, sont de simples manouvriers, illettrés et sans fortune. Son père travaille comme charretier puis comme batteur en grange. La famille quitte Ambleny deux ans après sa naissance pour s’installer à Vivières, près de Villers-Cotterêts.
Éducation et premiers pas dans le monde du travail : À l’âge de six ans, Pierre-Antoine Poiteau est envoyé à l’école de Viviers, où il apprend les rudiments de la lecture et de l’écriture. Il devient enfant de chœur à neuf ans. Cependant, à douze ans, il est contraint de travailler à la grange, un métier trop pénible pour lui. Il exerce ensuite divers emplois, notamment garçon limonadier et batteur en grange, avant de trouver sa voie dans l’horticulture.
Anecdote : Il reconnait avoir eu « la mémoire assez heureuse pour répéter les leçons par cœur, comme certaines petites filles le faisaient à ravir ». Il a également été confronté à la croyance populaire en sorciers et loups-garous, un élément révélateur de son milieu d’origine. Il apprendra la grammaire à l’âge de 24 ans.
L’éveil de la passion pour la botanique
Son parcours l’amène à travailler comme apprenti jardinier dans un couvent, puis comme jardinier dans différents lieux. C’est au contact de la nature qu’il développe sa passion pour l’horticulture.
Après un séjour de deux ans au couvent de Saint Remy et trois ans comme jardinier chez une dame veuve Musard à Villers-Cotterêts, Pierre-Antoine Poiteau est venu tenter sa chance à Paris pour la première fois à 19 ans. Il ne réussit pas à trouver du travail et fut obligé de retourner à Villers-Cotterêts. A l’âge de 22 ans il retourna de nouveau à Paris, et cette fois-ci, il réussit à se placer chez un jardinier-maraîcher.
Anecdote : Durant son séjour à Paris, il a été témoin des événements de la Révolution française. Alors qu’il travaillait chez un maraîcher, Poiteau et son patron se sont retrouvés entraînés dans les foules se dirigeant vers la Bastille le 14 juillet 1789. Ils avaient chacun une fourche sur l’épaule, ce qui les faisait apparaître comme des combattants.
Cependant, Poiteau précise qu’il n’était animé ni par un esprit belliqueux ni par une ardeur politique. Il dit : « Heureusement, lorsque nous arrivâmes près de la Bastille, celle-ci venait d’être prise. Nous n’eûmes pas ainsi à concourir à la lutte ». Il note que d’autres, moins réservés et moins modestes, n’hésitèrent pas à se donner le titre de combattants et de vainqueurs de la Bastille, s’attribuant ainsi l’honneur et les profits de cet événement.
Lors de l’hiver 1789 et 1790, et comme son patron ne le gardait pas pendant la période hivernale, Pierre-Antoine Poiteau a travaillé comme polisseur de glace de miroirs dans la manufacture royale du faubourg Saint-Antoine.
L’ascension au Jardin des Plantes : En 1790, Poiteau est engagé comme « garçon-jardinier » au Jardin des Plantes de Paris. Ses aptitudes sont rapidement remarquées par ses employeurs, qui lui permettent de suivre une excellente formation de botaniste.
L’apprentissage de Poiteau au Muséum : une soif de savoir et une détermination hors norme
Pierre-Antoine Poiteau n’avait ni formation académique ni soutien institutionnel, mais une volonté inébranlable. Son passage au Muséum national d’histoire naturelle fut une véritable ascension autodidacte, forgée par le travail et la passion.
Un autodidacte déterminé: Ne sachant ni bien écrire ni s’exprimer correctement en français, il s’imposa un apprentissage rigoureux de la grammaire, atteignant un niveau de maîtrise enviable. Il étudia également le latin, clé essentielle pour comprendre les traités botaniques de Linné et Murray, allant jusqu’à réviser en travaillant la terre.

Pierre-Antoine Poiteau poursuivant son apprentissage théorique pendant l’entretien des végétaux du Jardin des Plantes de Paris. (Illustration)
Une formation scientifique et artistique complète: Poiteau suivit les cours de botanique de Desfontaines, mémorisant plus de 200 caractères génériques en un an et assimilant les classifications végétales avec une aisance remarquable.
Conscient de l’importance des illustrations scientifiques, il se forma également au dessin et à la peinture sous la direction de Gérard van Spaendonck et en s’inspirant des œuvres de Pierre-Joseph Redouté.
Il devient ensuite préparateur des leçons de Desfontaines et est reconnu pour ses compétences.
Missions botaniques et explorations :
- Saint-Domingue (1796-1801) : En 1796, André Thouin l’envoie à Saint-Domingue pour y étudier la flore locale. Malgré les troubles révolutionnaires et les difficultés logistiques, il récolte 1200 espèces de plantes et 600 paquets de graines. Il y rencontre Pierre Jean François Turpin, avec qui il collaborera en tant que dessinateur.
- Il séjourne notamment au Cap, à l’Île de la Tortue, à Jacmel et à Santo-Domingo.
- Il adresse au Muséum 289 espèces de graines récoltées à Saint-Domingue.
- Guyane (1818-1821) : En 1818, Pierre-Antoine Poiteau est nommé « botaniste du roi » en Guyane. Il y développe les cultures malgré une forte résistance administrative. Son retour en France est difficile.
- Ses lieux de séjour incluent Cayenne et l’Habitation des Épiceries (dite la Gabrielle).
Contributions scientifiques et artistiques
Pierre-Antoine Poiteau publie de nombreux mémoires dans des revues scientifiques et collabore à plusieurs ouvrages. Il est notamment l’auteur du « Cours d’Horticulture« , co-auteur de l’ouvrage « Histoire Naturelle des Orangers« , et co-auteur du « Traité des arbres fruitiers, nouvelle édition« .
Ses talents artistiques lui permettent de réaliser des dessins et gravures aquarellées de plantes, comparables à ceux de Redouté. Il travaille avec Turpin, Redouté et Bessa.
Exemples de son travail de recherche en botanique :
- Il a établi le genre Philipodendron.
- Il a établi une nouvelle famille de plantes sous le nom de Cyclantheæ, les Cyclanthées.
- Il signale des genres nouveaux, dont deux qu’il nomme Thouina et Stevensia, en reconnaissance de ses bienfaiteurs André Thouin et Edward Stevens (voir l’article sur l’exploration botanique à Saint Domingue).
- Il a fait des observations importantes sur l’arachis hypogœa (arachide), notant des détails ignorés par d’autres botanistes (cf. document Taxonomy of the genus Arachis page 15).
- Structure de l’écorce et goût des oranges : Pierre-Antoine Poiteau a découvert que les oranges douces ont des vésicules convexes d’huile essentielle, tandis que les oranges acides ont des vésicules concaves. Celles avec des vésicules planes ont un goût fade. Cette observation permet de distinguer les oranges douces des oranges acides sans les goûter.
- 69 noms de plantes font références à Poiteau en tant que découvreur ou co-découvreur.
Postes et distinctions : Au cours de sa carrière, Poiteau occupe plusieurs postes prestigieux :
- Jardinier en chef du jardin botanique de l’École de médecine de Paris (1814-1816).
- Jardinier en chef des jardins et du parc de Fontainebleau (1817).
- Chef des pépinières de Versailles (1816-1819).
- Botaniste du roi et directeur des cultures aux habitations royales de la Guyane (1819-1821).
- Professeur de cultures à l’institut horticole de Fromont à Ris (1829-1830).
- Rédacteur en chef des Annales de la Société d’horticulture de Paris (1828-1848).
Pierre-Antoine Poiteau devient membre de plusieurs sociétés savantes et il est nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 1841. Il a également été vice-président honoraire de la Société d’Horticulture de la Seine.

Publications majeures de Pierre-Antoine Poiteau:
- Traité des arbres fruitiers, nouvelle édition, 6 vol. in-folio, Paris, 1807-1835, en collaboration avec Turpin.
- Flore parisienne, 1808-1813.
- Jardin botanique de l’École de médecine de Paris, 1816.
- Histoire naturelle des orangers, avec Risso, 1818-1820.
- Rédacteur en chef de l’ Almanach du bon jardinier de 1825 à 1844.
- Cofondateur, avec Vilmorin, de la Revue horticole, dont il est l’éditeur scientifique de 1829 à 1851.
- Pomologie française : recueil des plus beaux fruits cultivés en France, 1846.
- Cours d’horticulture, 2 vol., 1848 et 1853. Il s’agit de la version enrichie des cours qu’il a donnés à l’institut horticole de Fromont.
Il a également collaboré au Dictionnaire d’Agriculture d’Aucher-Eloy et au journal le Cultivateur.
Hommages
- Plusieurs personnalités ont souligné le dévouement de Pierre-Antoine Poiteau pour la science et son amour de la botanique et de l’horticulture. M. Rousselon a rédigé une notice nécrologique mettant en avant sa persévérance et son dévouement.
- De Liron d’Airoles l’a décrit comme « un véritable savant », « un botaniste praticien éclairé en même temps qu’un peintre remarquable… ».
- La Société royale d’horticulture est la seule pension que Pierre-Antoine Poiteau ait gagnée de son vivant.
- Ses illustrations botaniques ont servi d’inspiration à des artistes tels que Salvador Dali pour son oeuvre FlorDali, Les fruits.
- Plusieurs plantes ont été nommées en l’honneur de Pierre-Antoine Poiteau, comme la Laurencia poiteaui ou la Schnella poiteauana.
- Une nouvelle variété de poire obtenue en 1827 a été nommée Nouveau Poiteau en son hommage par Jean-Baptiste Van Mons.
Poème de Pierre-Antoine Poiteau
Dans l’étude biographique réalisée en 1897 par M. Edouard Bureau du Muséum d’Histoire Naturelle, il est fait mention d’une autre facette de Poiteau.
Le portrait que sa petite-fille a eu l’obligeance de communiquer (voir ci-dessous), était enveloppé dans divers papiers que M. Bureau ouvrit avec soin. Voici ce qu’il trouva sur l’un d’eux :
« Au sein d’une fleur tour à tour,
Une heureuse image est tracée.
Dans un Myrthe, on croit voir l’amour,
Un souvenir dans la Pensée !
La douce paix dans l’Olivier,
L’espoir dans l’ Iris demi-close,
La victoire dans le Laurier,
Une femme dans une Rose.
A, POITEAU, Botaniste. »
M. Bureau ajoute à propos de ce poème : « Ce n’est pas du Racine ou du Victor Hugo, je le sais bien ; mais trouvez, je vous prie, un batteur en grange qui, vers la fin de sa vie, soit capable d’en faire autant ».

(auteur: Pierre Verdeil)
Fin de vie et héritage
Pierre-Antoine Poiteau décède le 27 février 1854 d’une congestion cérébrale, à Vaugirard (dans l’actuel 15eme arrondissement de Paris). Il était âgé de 87 ans.
Son nom est associé à ceux de La Quintinye, Duhamel et Thouin, figures marquantes de l’histoire de l’horticulture française.
Son œuvre, souvent méconnue, mérite d’être redécouverte pour sa valeur scientifique, artistique et humaine.
En résumé, Pierre-Antoine Poiteau incarne la figure de l’autodidacte passionné qui, par son travail acharné et sa soif de connaissances, a su s’élever au plus haut niveau de la science botanique.